TÉMOIGNAGES

Témoignage de Cécile T.

22 août 2024

Je m’appelle Cécile, j’ai 49 ans dans une semaine. 

Ma maman de 78 ans a un adénocarcinome pancréatique diagnostiqué il y a maintenant un peu plus d’un an et j’espère qu’elle sera là l’année prochaine pour mes 50 ans…

Le diagnostic est tombé il y a un peu plus d’un an, comme ça, sans s’y attendre après des mois où on se demandait pourquoi ma mère était si fatiguée, peut-être était-ce la dépression qui revenait ? Elle avait perdu quelques kilos, elle était contente car ces dernières années, elle était contrariée d’avoir pris du poids. 

Et puis des troubles digestifs sont apparus, des vomissements, une fatigue intense et ce fatidique pont de l’Ascension 2023 où nous sommes allés aux Urgences persuadés qu’il s’agissait d’une forte déshydratation, peut-être liée à une insuffisance rénale.

Je revois encore l’infirmier nous accueillir mon père et moi, après que ma mère soit restée en observation quelques heures : « il y a quelque chose au niveau digestif, le docteur vous en dira plus »

Je pense à un cancer de l’estomac ou des intestins car ma mère a toujours eu des soucis digestifs, on avance dans le couloir vers les chambres et je vois ma mère debout dans l’angle de la porte qui nous dit avec la bouche un peu tordue comme lorsqu’on vous gronde pour une bêtise : « ils ont vu une masse derrière le pancréas »…

Là, dans ma tête, c’est comme si j’étais happée par le vide, je n’y crois pas, pas le pancréas, je suis pharmacienne et je connais le pronostic du cancer du pancréas, non, c’est une erreur, il y a une autre explication.

Avec mes parents on reste assis un long moment dans cette chambre des urgences, on doit venir chercher ma mère pour l’hospitaliser et lui faire des examens complémentaires dans les jours qui viennent. On discute tous les 3 en chuchotant, on se rassure mutuellement, « attendons les examens complémentaires », peut-être que ce n’est qu’un nodule bénin et pas un cancer, tout ceci semble irréel…

Je me rappelle la nuit qui a suivi où je pleurais et me répétais : « ma mère va mourir, elle ne sera pas là à noël, elle ne verra pas ma fille passer son bac »

Les jours qui vont suivre vont être rocambolesques avec les montagnes russes émotionnelles, une biopsie qui reviendra négative mais on nous expliquera qu’on a potentiellement pu « taper » à côté et qu’il faut y retourner (sans nous expliquer que les faux négatifs sont fréquents dans ce type de cancer), et puis un oncologue gériatre qui avant même le diagnostic définitif demande à ma mère si elle veut une chimio plutôt agressive mais plus efficace ou une chimio plus « douce » mais avec un taux de réussite moins important comme si on choisissait entre 2 activités sportives ou encore une oncologue digestive qui nous dit qu’on va d’abord réduire la tumeur et après on opèrera avant même d’avoir reçu les résultats du scanner qui nous apprendront que la tumeur est non résécable car elle touche l’artère fémorale donc inopérable quoiqu’il arrive! Se rendent-t-ils compte que c’est comme si on vous disait un jour : »vous allez vivre » un autre jour : »vous allez mourir », psychologiquement c’est violent !

Épuisée par tous ces jours d’examens, de vraies et de fausses annonces, ma mère décide de sortir contre l’avis du médecin. Je prends son dossier sous le bras et contacte l’hôpital le plus réputé de notre ville, spécialisé en oncologie et avec une renommée nationale.

Nous avons un rdv rapidement la semaine qui suit, le 1er juin, le jour de l’anniversaire de mon frère. On y va ma mère, mon père et moi, on fait toutes les démarches à l’accueil, on récupère le dossier à compléter qui va la suivre tout le long de sa prise en charge. Dans la salle d’attente je commence à compléter les informations administratives, la personne de confiance et…les directives anticipées : veut-elle être réanimée…un choc de plus, on se dit qu’on n’en est pas là, on verra ça plus tard. On attend calmement, sans trop parler.

Le rdv va durer 20 min avec une jeune oncologue, je la trouve un peu hautaine, lui parlant comme à une enfant, comme si ma mère du fait de son âge était retombée en enfance, non, elle est juste épuisée par tout ce qu’elle endure depuis des semaines, ma maman il y a quelques semaines encore, conduisait sa voiture, partait en week-end, papotait avec ses copines et faisait ses courses. J’essaye de prendre de la hauteur, de ne pas me formaliser, je suis fatiguée aussi…

Une 1ère cure de chimio est programmée pour dans 3 semaines.

Pendant les jours qui vont suivre son état va empirer, elle ne garde rien, à de fortes douleurs lombaires. Sa généraliste va contacter l’oncologue et va insister pour la faire hospitaliser. 

En hospitalisation on va tomber sur une super équipe, un oncologue qui ne lui fait pas prendre des vessies pour des lanternes :  » Non, vous ne guérirez pas, non ce n’est pas opérable mais on va tout faire pour le contenir et l’assécher mais avant toute chose il faut remonter votre état général donc comme vous ne pouvez plus vous nourrir, il faut vous mettre une sonde nasogastrique et une sonde rénale car votre rein souffre »

Pour la 1ère fois mon père pleure à l’abri du regard de ma mère…

Les semaines suivantes vont être éprouvantes entre l’installation de la sonde nasogastrique et son acceptation (dure pour une amoureuse de la cuisine comme ma mère d’être réduite à ingurgiter une ignoble bouillie) et la pose de la sonde rénale qui va être très douloureuse, des douleurs affreuses qui vont durer une nuit entière et une infirmière qui s’irrite que ma mère la dérange pour demander un doliprane ! Pour la 1ère fois de ma vie, je vais voir ma mère pleurer et dire « pourquoi moi ! », cela me brise le cœur…

La chimio en hospitalisation va démarrer début juillet, je nous revois l’emmener dans cette chambre au fond d’un couloir, l’oncologue lui dire qu’elle va voir l’équipe médicale pendant de long mois, qu’il y aura de nombreuses chimios, mais combien, ça, personne ne nous l’a dit… c’est parti pour 52h de chimio, on la laisse en lui disant qu’elle est forte, que ça y est le combat a démarré, on est à la fois soulagé que des soins soient enfin prodigués mais tristes de devoir la laisser seule, dans cet hôpital, à combattre. Les perfusions de Folfox démarrent …

Les semaines vont s’enchaîner avec des chimios tous les 15j, des effets secondaires qui la clouent au lit, une fatigue qui la terrasse, des cheveux qui tombent, un moral qui flanche, elle ne lit plus, ne regarde plus la télé, ne sort plus et regarde le plafond toute la journée.

Mon père, mon frère et moi essayons d’être présent à chaque instant, dur pour mon père qui voit l’amour de sa vie depuis 54 ans souffrir, s’amoindrir et dur pour nous, ses enfants, de voir que notre mère, notre pilier, une femme aimante, qui a déjà subi une opération à cœur ouvert avec un postop long et éprouvant il y a 6 ans, est obligée de subir tout ça, elle a déjà eu son lot de souffrance, elle aspirait enfin à une vieillesse paisible.

Je passe tous les jours, 2 fois/j dès que mon emploi du temps le permet pour discuter avec elle, la booster, lui dire qu’elle n’est pas seule et ne le sera jamais ; je suis fatiguée mais je veux profiter d’elle à chaque instant, je veux qu’elle se sente entourée, aimée, jamais seule.

L’été va passer, fin août elle va enfin se libérer de sa sonde nasogastrique, pouvoir enfin remanger un peu normalement même si son cerveau a du mal à interpréter à nouveau les signes de la faim, elle a maigri mais pour l’instant on a limité la casse : – 5kg. 

Le 1er scanner en septembre, ne montrera pas d’évolution du cancer, ni de diminution, on attaque une nouvelle cure de folfox jusqu’en décembre.

Noël approche, personne n’a l’esprit à la fête mais je veux que ce noël soit festif, on se le doit, pour elle et contre toute attente, on va passer des fêtes dans la bonne humeur où enfants et petits-enfants vont chanter pour les grands-parents sur « Cette année-là » de Claude François pour plaisanter sur leur rencontre en 1964 !

Janvier nouveau scanner, -8kg et rdv avec la jeune oncologue qu’on avait vu au début, on est reçu tous les 3 comme la 1ère fois et dès le début on se fait presque « engueuler » : comment se fait-il qu’on ne l’ai pas revu depuis juin, pourquoi ma mère a-t-elle fait ses chimios en hospitalisation et pas en ambulatoire ? On est un peu abasourdi par ses questions et son ton, on manque de réparti. Nous, on a juste suivi le parcours de soin dans lequel on nous a mis, on a suivi les rendez-vous sur l’agenda et ma mère avait besoin de cette hospitalisation pour remonter son état général. 

On ne dit rien, on est juste stressé par les résultats du scanner et son interprétation. Elle nous dit : « vous avez donc un adénocarcinome pancréatique donc là on a fait 2 lignes de chimio, après on fera un traitement par voie orale de la radiothérapie et de la chirurgie »… je reste, perplexe, tout en ayant une lueur d’espoir et lui dis :  » Excusez-moi mais la tumeur infiltre le rein, on nous avait dit que c’était inopérable, ce n’est plus le cas ? » Grand blanc… elle regarde enfin le dossier que visiblement elle ne maitrisait pas : « Ah non, au temps pour moi, effectivement c’est inopérable », nouvelle douche froide!

A l’issu du rdv elle convient avec ma mère de faire sa chimio en ambulatoire dans 2 jours et éventuellement de revenir en hospitalisation si jamais ça ne va pas vu que « vous êtes fragilette » lui dit-elle !! Là aussi je reste sans voix, comment peut-on dire une chose pareille à une femme de 78 ans après tout ce qu’elle a subi, comment peut-on être oncologue et tenir des propos pareils ! Le seul espoir qu’elle nous donne c’est une nouvelle biopsie qui sera une biopsie moléculaire permettant de déterminer les mutations génétiques responsables du cancer et peut-être l’espoir d’une immunothérapie.

En attendant les résultats, la suite va être à nouveau un parcours semé d’embûches avec une septicémie à candida due aux sondes rénales qui va lui faire perdre des kilos, une nouvelle ligne de chimio au Gemzar qui va avoir lieu toutes les semaines, soi-disant mieux supporté mais qui va lui donner de la fièvre, des vomissements, un amaigrissement et des sondes rénales qui lui donnent de l’impériosité urinaire pouvant aller jusqu’à l’incontinence. À chaque chimio, elle signale tout ça à la jeune oncologue, qui finit par lui dire un jour: « si vous voulez on peut passer à un autre traitement mais il fait perdre les cheveux », ma mère lui dit qu’avant elle préfèrerait peut-être essayer d’adapter les doses Gemzar, ce à  quoi l’oncologue lui répond: « ah ben oui, sinon on arrête tout et ce sont des soins palliatifs ». Finalement elle conviendra d’adapter les doses de Gemzar.

Mes parents vont ressortir de là dévaster par ce qu’ils ont entendu (palliatif), ils ont l’impression que c’est la fin. 

Quant au résultat de la biopsie moléculaire que nous attendions avec tant d’impatience, ils furent balayer d’un revers de manche : « ah non, je ne vous en ai pas parlé, vous avez une mutation KRAS G12 D et il n’existe de traitement que pour la G12C ». Merci, au revoir.

À partir de là je décide qu’on va changer d’oncologue, ma mère craint de vexer son oncologue actuelle, le monde à l’envers ! Je lui dis que ce n’est pas Dieu, qu’on parle de sa santé, de sa vie et qu’elle a besoin de se sentir écouter et en confiance avec un minimum d’empathie.

Le nouvel oncologue c’est celui qui la suivait en hospitalisation, il est franc, direct mais empathique et maîtrise son sujet.

-15kg, on se demande quand ça va s’arrêter ! De mon côté je me mets en quête de chercher par tous les moyens des solutions, je cherche tous les articles sur les avancées thérapeutiques : je contacte le laboratoire américain Mirati Therapeutics qui fait des essais cliniques aux Éats-Unis sur la mutation génétique de ma mère avec une nouvelle molécule mais ils me répondent que rien n’a lieu en France à ce jour, je contacte la ligue contre le cancer, les associations de patients, je cherche sur le registre national des essais cliniques…j’en repère un à Gustave Roussy, je me dis que j’en parlerai à son oncologue.

Les chimios s’enchainent avec des pauses plus longues car elle ne supporte vraiment pas ce Gemzar, ses problèmes urinaires s’accentuent, on lui dit que malheureusement il faut faire avec car si on enlève la sonde JJ son rein va trop souffrir, on lui changera fin mai.

Avril nouveau scanner, on est inquiets, on voit son état se dégrader plutôt que s’améliorer, elle est à bout par tant de souffrance, on aimerait juste une fois avoir enfin un peu une bonne nouvelle, une accalmie dans cet enfer qui nous tient en haleine depuis bientôt un an, juste pour qu’elle souffle un peu et qu’elle recharge ses batteries. 

Juste avant pâques, je parviens à la faire un peu sortir pour faire quelques courses mais c’est très compliqué, elle est essoufflée, elle fait un petit malaise dans mes escaliers. On passe Pâques chez mes parents avec mon frère, sa fille et ma famille. Maman arrive tout juste à faire cuire le gigot mais repart se coucher. Elle parvient à partager le repas avec nous mais la fatigue est forte.

Et puis quelques jours plus tard les résultats du scanner tombent : métastase au foie, une fois de plus il faut encaisser, les uns devant les autres ont fait bonne figure mais chacun craque certainement dans son coin. L’oncologue fait comprendre à mes parents que pour l’instant plus aucun traitement n’est envisageable au vue de l’état général de ma mère, elle n’est pas non plus éligible à un quelconque essai clinique : « vous auriez eu 40 ans, ça aurait été différent », on comprend que vu son âge, rien est prévu pour elle, il faut qu’elle remonte son état général et on verra si il peut y avoir une reprise thérapeutique.

Mais comment remonter l’état général de quelqu’un qui a un cancer si agressif sans soin. Les semaines suivantes vont s’enchaîner avec fièvre et infections au niveau de ses sondes rénales, nouvelle anesthésie générale pour les changer, antibiothérapie pour enrayer l’infection, donc forcément l’état de fatigue s’accentue, l’appétit qui n’était déjà pas grand, diminue dangereusement, encore quelques kilos en moins, elle n’est pas plus épaisse qu’une plume avec ses 44kg. Je la regarde et souvent me vient l’image de son visage, il y a un an en arrière, souriante, toujours un peu speed, rondelette comme nous le sommes tous dans la famille, conduisant son éclatante voiture rouge …

J’envoie son dossier à Gustave Roussy à Paris pour avoir un nouvel avis et savoir si il y a des essais cliniques ouverts pour elle, je contacte le laboratoire Biontech qui apparemment a fait de grandes avancées sur la vaccination , je contacte la startup Klineo qui permet aux patients de trouver des essais thérapeutiques partout sur le territoire, on a un rdv en visio début mai, j’assiste avec mon père à un webinaire de Gustave Roussy sur la vaccination, je contacte un professeur responsable d’essais à Gustave Roussy bref je ne peux rester les bras croisés, j’ai bien compris que si on ne se bouge pas, personne ne le fera pour nous. 

Pendant tout le mois qui suit son dernier rdv avec l’oncologue, elle commence à avoir des douleurs fortes dans le dos qui lui prennent parfois jusque dans le ventre, la voir souffrir c’est un calvaire, on met en place kiné et hydratation à domicile pour la soulager mais une fois encore, on se débrouille tous seuls pour mettre tout ça en place, je pense aux gens qui sont seuls et n’ont personne pour les aider…

 On communique beaucoup maintenant sur le cancer, les soins de support dans les hôpitaux, l’écoute des patients et des aidants, j’ai l’impression que tout ceci n’est que de la com’…personnellement ma réalité est tout autre: nous nous sentons abandonnés, livrés à nous même, seuls face à ce combat où on ne maitrise rien, en plus de la maladie, il faut encore chercher des solutions seuls car on a compris qu’à l’âge de ma mère, personne ne se battra pour elle, qu’à 78 ans on considère qu’elle a bien vécu et que maintenant comme dirait ma mère: « je n’ai plus qu’à attendre assise sur un banc à l’entrée du cimetière ».

Nous avons revu l’oncologue il y a 2 jours, il nous a clairement dit qu’il ne servait plus à rien de convenir d’un nouveau rdv, la suite va être pris en charge par le HAD. Je ne blâme pas les médecins, ils font ce qu’ils peuvent avec leurs moyens, mais imaginez comment vous ressortez de là, quel sentiment d’abandon vous envahit, vous êtes seuls face à une mort inéluctable, pour le patient et les aidants c’est abyssal. C’est comme si on sciait la branche de l’espoir sur laquelle vous êtes assis, or on sait que le mental est important dans la gestion de la maladie. Je ne réclame pas de donner de faux espoirs mais juste de montrer au malade qu’on ne l’abandonne pas, qu’on va l’aider à continuer de se battre car plus il tiendra, plus il pourra peut-être accéder à des innovations thérapeutiques, la recherche avançant et l’espoir c’est bien celui-là : Ne jamais s’avouer vaincu.

À ce jour, je veux continuer à me battre pour elle, ne rien lâcher et chercher des solutions car il ne peut en être autrement, sa maladie m’a fait découvrir ma détermination et en même temps je suis en colère, en colère de me battre contre des moulins à vent, l’impression de tout faire mais de ne pas être entendue, de ne parvenir à rien.

Désolé pour ce long témoignage, mais il me tenait à coeur car là aussi nous ne savons à qui nous adresser pour livrer notre ressenti parfois lourd à porter, avec ce sentiment de se battre mais d’envoyer des coups d’épée dans l’eau et on souhaiterait pouvoir faire changer les choses à notre petite échelle.

Merci beaucoup pour votre écoute et je souhaite un courage immense à tous les guerriers du cancer et à leurs aidants : vous n’êtes pas seuls